Cooper Web
Interview exclusive

dit Storken

Sten Lundin

Q : Monsieur Lundin, pouvez-vous nous présenter notre CV en quelques mots ?

R : Eh bien j'ai été Champion du Monde (NDLR en 500) à deux reprises en 1959 et 1961, et j'ai du me classer dans le top 3 pendant 9 ou 10 ans. J'ai aussi été Champion de Suède à trois reprises (ce qui est une performance remarquable car les Suédois étaient en nombre aux avant-postes des GP à l'époque !) et j'ai également remporté le Motocross des Nations avec l'équipe suédoise.

Q : Combien de temps a duré votre carrière de pilote ?

R : 23 ans ! Une fois ma carrière de pilote de Grand Prix achevée, j'ai continué à rouler en cross inters à travers l'Europe, et principalement en France, il y en avait beaucoup à cette époque. Pratiquement chaque dimanche !

Q : Quand avez-vous débuté le motocross ?

R : J'ai commencé vers 17 ou 18 ans. Ce n'était pas aisé de se lancer à l'époque, même si le motocross a commencé à se développer en Suède après la seconde guerre mondiale. Ma première moto était une routière, une AJS 350cc. Avec un ami qui avait une Triumph nous avons pris l'habitude de rouler dans les bois. Nous avons modifié nos machines pour qu'elles ressemblent à des motos de cross, en retirant les phares, par exemple. Un jour, nous sommes allés assister à une course non officielle à laquelle participait des types avec lesquels il nous arrivait de rouler, et ils m'ont proposé de se joindre à eux pour participer à cette course. Je me souviens qu'il y avait beaucoup de spectateurs. J'ai accepté et finalement cela s'est plutôt bien passé puisque j'ai fini second derrière un gars qui avait une 500 alors que moi je n'avais que ma 350. Il était plus rapide que moi dans les lignes droites mais j'allais plus vite sur les autres portions. Je me suis dit que je pouvais peut-être devenir bon dans ce sport et c'est ainsi que tout a commencé ! En 1948. C'étaient les débuts du motocross. Pas de suspension arrière et donc il fallait être vigilent sur les sauts. Pour ma part, je me rendais sur les circuits avec ma moto, je faisais ma course, puis remettais mon paquetage sur le dos et je rentrais chez moi toujours juché sur ma machine. C'était ainsi à l'époque ! (Rires).



Sten sur une machine de tourisme

Q : Combien de temps avez-vous mis pour devenir professionnel ?

R : Et bien je suis passé pro en 1953. C'est à cette époque qu'est apparue la BSA Goldstar, une très bonne machine, et j'ai pu m'en acheter une. Peu de gens pouvait se le permettre alors ! Pour ma part, j'avais du travailler dur pour me l'offrir. Ma mère n'appréciait guère l'idée de me voir rouler en motocross, mais elle avait admis qu'à partir du moment où je pouvais me payer une machine, j'étais libre de le faire. J'ai donc travaillé comme un damné ! (rires) Pour en revenir à cette Goldstar, j'avais eu plusieurs machines avant, mais celle-ci m'a vraiment permis de franchir un palier. Je suis devenu un bon pilote au niveau national, en Suède donc. Cela m'a permis d'obtenir 3 machines de la part de l'importateur BSA pour la saison 54, en même temps que Bill Nilsson (autre double champion du monde Suédois !) et nous sommes devenus les premiers pilotes Suédois à tenter notre chance à l'étranger, à travers l'Europe. Je me souviens précisément d'une course où je roulais particulièrement bien dans des conditions éprouvantes et j'ai commencé à me sentir fatigué, et j'ai fini par perdre le commandement au profit d'un autre pilote. Et je me suis dit que si je pouvais être aussi rapide, c'était dommage de ne pas avoir la force nécessaire pour tenir mon rythme sur l'intégralité d'une manche. Et j'ai ainsi arrêté de fumer ! Puis avec Bill Nilsson, nous avons commencé à nous entrainer très dur, de manière très professionnelle. Nous avons pris exemple sur les skieurs et avons fait beaucoup de ski de fond. Cela nous a permis de nous renforcer physiquement et mentalement aussi. Je crois que nous avons été les premiers crossmen à nous entrainer aussi sérieusement. Donc en 1954, nous sommes allés rouler en Belgique. Les Belges étaient très forts à l'époque, comme les Anglais du reste, et nous avons progressé à leur contact. En 1955, j'ai gagné le premier Grand Prix, à Imola (le site rendu célèbre par les sports mécaniques, et bien sûr la F1, abritait à l'époque le GP d'Italie 500) puis un autre dans le sable, en Hollande. C'est ainsi que les GP ont commencé pour moi ! C'était plutôt satisfaisant.

: Vous avez cité votre préparation physique comme raison de votre compétitivité, mais y a-t-il d'autres éléments qui expliquent la domination du motocross Suédois à cette époque ? Outre Bill Nilsson et vous-même, il y avait aussi les Rolf Tibblin (double Champion du Monde également), Ove Lundell, Gustavsson ou encore Johansson au sommet de la hiérarchie mondiale...?

R : Oui, je crois que c'est quelque chose qui a toujours fonctionné ainsi, il y a un ou deux pilotes qui réussissent, montrent l'exemple et c'est une génération de pilote qui prend confiance et se dit "moi aussi je peux le faire". Avant nous, il y avait eu les Belges et les Anglais, et par la suite il y en a eu d'autres. C'est une affaire d'émulation.

Q : Combien de courses couriez-vous à l’époque ?

R : Une trentaine, dont 12 GP, le MXDN et le Championnat de Suède. Le reste, c'étaient des cross inters. Nous commencions la saison en mars et la finissions en septembre.



Sten sur une Gold Star en 1966

Q : Vous semblez avoir eu une carrière très liée à Bill Nilsson, étiez-vous amis ?

R : Cela n'a pas toujours été le cas, car à l'époque, nous étions les deux meilleurs pilotes du monde, enfin parmi les meilleurs, car il y avait aussi René Baeten, Ove Lundell, ou encore Leslie Archer. Aujourd'hui, nous nous entendons bien, il n'y a plus de problème (rires) ! (interview réalisée en 2010)

Q : Etre un pilote de pointe dans les années 50-60, cela vous permettait-il de devenir riche ?

R : Nous ne gagnions pas autant d'argent que les champions d'aujourd'hui, mais je crois que cela vaut pour tous les sport. En fait, quand j'ai débuté, j'exerçais le métier de plombier Mon père pensait que c'était bien d'avoir un hobby, mais qu'il fallait avant tout avoir un vrai métier. Puis je me suis mis à gagner plus d'argent grâce au motocross qui était aussi ma passion. Je voyageais de par le monde, j'apprenais de nouveaux langages. Alors au final, je n'étais pas spécialement riche, mais c'était très convenable et je vivais de ma passion. C'était bien mieux que d'avoir un travail ordinaire.

Q : Etiez-vous populaire en Suède à cette époque ?

R : Oui, j'ai reçu quelques distinctions dont le titre de sportif Suédois de l'année en 1961.

Q : Continuez-vous de suivre le motocross de près ?

R : Non ! Je ne connais même plus les pilotes de GP actuels. J'ai un peu suivi jusqu'à l'époque de De Coster mais je ne regarde plus les Grand Prix aujourd'hui. Je ne reconnais plus ce sport, il est tellement différent de celui que j'ai pratiqué !!!

Q : Qu’est-ce qui a tant changé ?

R : Les suspensions ! Elles permettent de réaliser des choses auxquelles nous ne pouvions songer à mon époque. Cela me fait penser à du cirque aujourd'hui. Attention, c'est très impressionnant, très spectaculaire, et ce que font les pilotes aujourd'hui est bien sûr très difficile, mais ce n'est pas la même chose que de mener en course une grosse 500cc très lourde, comme nous le faisions... Nous devions gérer notre course, choisir les bonnes trajectoires, éviter les sauts, les parties défoncées car les roues cassaient plus facilement à cette époque. Aujourd'hui, les pilotes ne font plus l'effort d'éviter les trous, la mécanique les en dispense...mais je continue d'aimer la pratique de la moto. J'aurais roulé aujourd'hui si je n'étais tombé malade. J'ai chez moi une Yamaha que j'ai modifiée alors que je travaillais pour cette marque. Une HL (Hallman-Lundin) 500. Une assez bonne moto !


Sten sur la moto qu'il a conçue avec Torsten Hallman


Q : Y a-t-il des courses pour motos anciennes en Suède ?

R : Oui, mais je n'y participe pas ! Pour ma part, j'ai tourné la page pour ce qui est de la compétition. Les gars qui s'y rendent y vont pour gagner et feraient n'importe quoi pour l'emporter. Ils modifient les suspensions par exemple et présentent des machines qui n'ont qu'une vague ressemblance avec ce qu'étaient les machines d'époques pour les rendre bien meilleures... Et pour moi, la course, c'est bien fini, je continue d'apprécier le pilotage d'une moto et je prends plaisir à faire quelques tours en bonne compagnie , comme j'aurais pu le faire ici, mais pour le reste, je crois n'avoir plus rien à prouver pour ce qui est de la compétition !



Sten en course de motos anciennes


Q : Bien que vous ayez pris des distances avec le motocross actuel, vous devez être surement au courant que la Suède a du mal à briller aujourd'hui au niveau international, avez-vous une explication ?

R : Non, pas vraiment, je me suis posé la question. Il y a tant de jeunes pilotes en Suède, mais ils ne sont pas bons, ils n'existent pas sur la scène internationale, c'est étonnant... (Gêné) Je ne sais pas, c'est dur à dire, mais à notre époque, ce n'était pas facile. Nous devions nous débrouiller seuls, je devais me prendre en charge. Aujourd'hui, les jeunes arrivent dans de beaux camions, accompagnés de leurs pères... Alors que nous devions nous battre pour pratiquer notre loisir, je crois que cela nous a donné un supplément de volonté, de force. Cela nous a peut-être aidés, notre génération.

Q : Auriez-vous préféré être jeune pilote aujourd'hui plutôt qu'àvotre époque ?

R : Non ! Définitivement non. J'ai eu la chance d'être un bon pilote à la bonne période...

Merci beaucoup Mr Lundin, ce fut un immense plaisir et un honneur de converser avec vous.

Palmarès

Champion du Monde 500cc en 1959 et 1961

Vice-Champion du Monde 500cc en 1960 et 1963

3è du championnat du Monde 500cc en 1957, 1958, 1962 et 1964

3è du championnat d’Europe 500cc en 1955

4è du championnat d’Europe 500cc en 1956,

5è du championnat du Monde 500cc en 1965

Champion du Monde 750cc en 1967 (Coupe FIM)

Vainqueur du Motocross des Nations en 1955 et 2è en 1956 et 3è en 1963

Champion de Suède 500cc en 1955, 1958 et 1961

Photos : Avec l’aimable collaboration de la revue MOTO-CROSS d’hier www.motocrossdhier.fr

et M.Moncler (course de motos anciennes)