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Interview exclusive

Une des voix du motocross français

Jean-Marie Rieu
  • Jean-Marie Rieu et André Malherbe à Laguépie

  • Motocross History : Comment êtes-vous entré dans le monde de la moto ?

    Jean-Marie Rieu (JMR) : J‘ai eu la chance de naître à côté du circuit de motocross de Saint-Thibery (Hérault). N'ayant pas les moyens de pratiquer ce sport déjà onéreux au début des années 70, j'ai décidé de me lancer dans le journalisme motocycliste ce qui m'ouvrait les portes du milieu. D'abord à l'hebdomadaire "Moto Hebdo" en 1970, puis l'année suivante à France Moto. En 1973, l'hebdomadaire Moto Revue me confie la correspondance pour ma région : Languedoc-Roussillon. J'ai assuré cette fonction jusqu'en 1992.

  • Résumé de l'épreuve de Corbère 1977.
  • Avez-vous roulé en motocross ?
    JMR : Je n'ai jamais pratiqué la moto en compétition, mais en tourisme seulement avec l'Agathé Moto Club, association crée avec une bande de copains en 1972, tournée vers les concentrations qui étaient en plein boum à cet époque-là

    Comment êtes-vous devenu speaker ?
    JMR : Le président de ligue de l'époque, Mr Yves Vellas, assurait le reportage micro de tous les motocross entre Rhône et Pyrénées. En 1974, il ne put officier sur l'épreuve de Laure Minervois (Aude), retenu par la communion de sa fille. Il me demanda de le remplacer. Ce sera le début d'une longue carrière de speaker. Le pur hasard...

  • Speaker à Beaucaire
  • Combien de courses avez-vous commentées ?
    JMR : Au 15/12/2018, j'ai commenté 1367 épreuves. La majorité étant des motocross, mais j'ai aussi officié sur des trials, enduros, vitesse, montées impossibles, course sur glaces, grass-track, supermotard, etc. En 1984, j'ai commenté 46 épreuves, ce qui est mon record personnel...

    Comment commente-t-on une montée impossible, une ice-race, un grass-track, par rapport à du motocross ? La durée d'une montée ou d'un course d'anneau dure moins longtemps qu'une manche de 45 minutes ?
    JMR : Le commentaire s'adapte à la discipline. Pour la montée impossible, on développe la description technique du prototype utilisé et on accompagne la montée en jouant sur le suspens de l'invincibilité de l'ascension. Pour les ice races, le rythme du commentaire doit suivre l'extrême rapidité de la course : 4 tours sur un anneau de 400 mètres. De plus, il faut tenir la comptabilité de la course. Il y a vingt courses dans la soirée, les pilotes effectuent six courses chacun, dans des couloirs différents. L'épreuve des Houches restera pour moi un excellent souvenir, avec comme cadre, le massif grandiose du Mont-Blanc.
    Commentez-vous toujours ?
    JMR : Oui, toujours avec la même passion ! Je continue à faire speaker dans ma région tant que la santé me le permet et que les clubs me sollicitent. C'est du bonus, car je n'aurais jamais imaginé tenir autant d'années...

    Avez-vous commenté des Grand Prix ?
    JMR : J'ai commenté une soixantaine de Grand Prix, avec le summum en 1991, où j'ai commenté les quatre Grand Prix : le side-car cross à Rousson (Gard), où Mécène/Morgan décrochent une splendide deuxième place derrière les Hollandais Janssen/Van Kessel; le 125cc à Toulon sur Arroux (Saône et Loire), où Yves Demaria reporte la première manche de sa carrière devant un certain Stefan Everts; le 500cc à Castelnau de Lévis (Tarn) où un jeune Anglais de 19 ans, Paul Malin, enflamma le circuit en remportant les deux manches et en menant les 40 tours du GP; enfin le 250cc à Arbis (Gironde) où les Américains Parker et Healey se partagent les manches, mais le sympathique Italien Puzar s'offre le GP.

  • Jacky Vimond consultant de Jean-Marie Rieu à Toulon sur Arroux.
  • Quel plus beau duel avez-vous eu à commenter ?
    JMR : Il y en a eu tellement, que faire une sélection est impossible ! Un des derniers remonte à avril 2015, lors du mondial de sidecar, disputé à Castelnau de Lévis (Tarn). En seconde manche, nos Français Giraud/Musset laissent le leadership aux Champions du Monde Adriaenssen/Van den Bogart, à deux tours du drapeau à damiers, mais la victoire finale du GP est encore possible. Il suffit de terminer deuxième de la manche, alors que les Hollandais Bax/Stupelis les talonnent. Il ne reste que quelques mètres, portés par la foule, ils termineront deuxièmes avec une visière d'avance (2/10 de seconde !) sur les troisièmes. Par contre, je n'ai vécu qu'une fois, l'exploit réalisé par JM.Bayle à Garos (Pyrénées Atlantiques), en 1984 où avec un 80cc, il partit sixième dans une course regroupant des 250cc et des 500cc, il passa troisième au quatrième tour, puis remporta la course !

    Quel pilote vous a le plus impressionné ?
    JMR : J'en citerai deux parmi tant d'autres. Un pilote français : Jean-Michel Bayle, qui reste pour moi, un des plus grands pilotes de tous les temps. De plus, il a participé au championnat de ma ligue et y fut titré en 1985. J'en suis très fier ! Et un pilote étranger : le Suédois Hakan Carlqvist avec son pilotage tout en force qui en avait fait le chouchou des spectateurs de nos épreuves internationales.

  • Avec Jean-Michel Bayle en 2010 à Carpentras.

  • Avec Hakan Carlqvist en 1990 à Lacapelle.
  • Sur quel circuit, y a t-il eu le plus de ferveur ?
    JMR : La ferveur du circuit n'a rien à voir avec le circuit, elle dépend de l'intensité de la course. Des spectateurs enthousiastes, vous en avez autant sur une épreuve régionale, que sur un Championnat de France, d'Europe ou Monde, pour peu qu'un pilote ou un équipage se mêle à la bagarre pour la victoire finale.

    Comment était planifié votre week-end ?
    JMR : Pour les épreuves internationales, j'arrivais la veille et j'en profitais pour rencontrer les pilotes. Le dimanche matin, je préparais ma présentation des pilotes et j'allais prendre quelques photos. L'après-midi était consacré aux courses. Les temps ont changé maintenant. Il est rare de disposer de la liste exacte des engagés de bonne heure, heureusement que la présentation des pilotes ne se fait pratiquement plus...Vous commencez à prendre le micro à 8h du matin, pour le poser souvent à 19h30 ou 20 h, avec une pause midi qui se rétrécit comme une peau de chagrin, avec au menu, un nombre incalculable de courses...Lorsque j'ai débuté, on avait six manche dans l'après-midi : trois en 250cc et trois en 500cc. Puis arrivèrent les 125cc, puis les 85cc, puis les quads, puis les 65cc, les 50cc, or l'amplitude de la journée de course n'a pas varié depuis 50 ans...Je ne parle pas de l'ineptie des horaires d'un Grand Prix !

    Comment étiez-vous organisé : contacts avec les clubs, déplacements, fiches-pilotes ?
    JMR : J'ai eu la chance d'arriver à l'époque dorée des motocross internationaux où l'on voyait rouler les pilotes de Grand Prix quasiment tous les dimanches, où l'on pouvait les côtoyer sans difficulté. Les années 70-80 furent exceptionnelles, je suis arrivé à commenter dans le "grand sud" une trentaine d'épreuves internationales dans une année. Je me demande si elles existent encore aujourd'hui ! Je faisais partie à l'époque de l'IMP, crée par Gilbert Regourd, qui composait la plupart des plateaux internationaux et qui me plaçait auprès des clubs organisateurs. Je me déplaçais en voiture, je n'avais pas les moyens d'un jet privé !!! Je tenais à jour des fiches "Bristol" sur les principaux pilotes (on retrouvait souvent les mêmes). Je les ai conservées avec la poussière de l'époque...et l'encre qui s'efface peu à peu.

  • La fiche de Dave Thorpe.
  • Alliez-vous interroger les pilotes dans le parc coureurs ?
    JMR : Pour faire ce travail, il faut avoir une sono avec un micro HF, hyper performant, ce qui est loin d'être le cas le dimanche...De plus il faut avoir le temps, or, il n'y a plus de temps mort sur les épreuves, entre les essais libres, chronos, les courses, etc...Lors de mon premier GP en 1979 à Lavaur (Tarn), j'ai voulu apporter des nouveautés. La veille, j'avais enregistré l'interview du Champion du Monde en titre, G.Moiseev, et celui du leader du mondial avant ce GP, H.Carlqvist. Je les avais diffusés le dimanche matin sur le circuit. A la fin de la matinée, j'avais organisé une table ronde avec les journalistes spécialisés sur le thème : "le motocross aujourd'hui". Ce forum tourna vite en une accusation en règle de la politique fédérale, qui ne fut pas du goût de tout le monde ! Je me demande si aujourd'hui, cela serait possible ?

    VCous avez été Président de ligue, concrètement, que fait un Président ?
    JMR : J'ai occupé cette fonction huit ans, de 1976 à 1984. J'ai commencé comme secrétaire de ligue de 1972 à l'âge de 23 ans, puis j'ai été élu président, quatre ans plus tard. Je ne sais pas si actuellement, il existe des présidents de ligue âgé de 23 ans...Un Président de ligue est un chef d'orchestre qui s'entoure de présidents de commissions, soucieux de faire avancer, non pas leur motoclub, mais la discipline qu'ils ont en charge. Il est là pour développer le sport moto dans son ensemble sur son territoire. Il doit insuffler une dynamique qui se retrouvera dans les divers championnats régionaux. C'est une fonction difficile quand on la prend à cœur, car il faut se débrouiller pour sortir une élite qui servira de locomotive aux autres licenciés.

  • Bureau de la ligue en 1984, de g à d : MM. Verdeil, Trouilhas, Tournier, Rieu, Alle et Crumière.
  • Quelles ont été vos plus belles réussites en tant que Président de ligue ?
    JMR : Un homme seul ne peut rien faire, il faut s'entourer de personnes qui partagent le même dynamisme afin de former une équipe soudée. Je prendrais quatre exemples.
    En 1977, j'autorise le MC de Corbères les Cabanes (Pyrénées Orientales) à organiser les 3 heures d'endurance TT, discipline non reconnue par la FFM, calquée sur une épreuve espagnole et reconnue par la Real Federacion Motociclista Española, dont le président, M. Rodil des Valle était président de la FIM...Cela m'a valu une volée de bois vert de la part de la FFM ! En 1978, la FFM reconnaissait cette discipline...
    En 1977 toujours, la ligue propose en motocross le Challenge du soleil, course par équipes avec la ligue Midi-Pyrénées qui sera étendue à l'Aquitaine quelques années plus tard. En 1979, la FFM lançait le Trophée de France inter-ligues.
    Avoir participé en 1981 à une campagne d'informations auprès des parlementaires pour la suppression du permis de conduire sur les circuits fermés. Il a fallu attendre 1983 pour voir enfin un pilote de 16 ans conduire un 125cc.
    Enfin, voir la ligue offrir par l'intermédiaire des motoclubs, trois épreuves d'importance de début de saison : le super-trial de Goudargues, l'endurance des sables de Listel et le motocross international de Beaucaire.

    Quelles étaient vos missions en tant que Président de la commission de motocross ?
    JMR : Un président de commission ne doit pas oublier les deux objectifs de sa mission : développer sa discipline et concilier le sport de masse et le sport d'élite. Ce dernier point est le plus difficile à accomplir. En effet, il faut trouver le juste milieu entre les deux pour ne pas décourager les purs amateurs qui pratiquent le motocross pour le plaisir avec des épreuves trop difficiles et ne pas pénaliser les jeunes qui souhaitent gravir les divers degrés de la compétition en leur offrant des épreuves trop faciles pour s'exprimer pleinement et faire la différence. Sport de masse, sport d'élite, les deux conceptions se recoupent. Il faut posséder un réservoir important de sportifs pour sortir une élite. il faut une élite qui serve de locomotive pour attirer les jeunes et développer le sport de masse.


    Photos : archives JM.Rieu