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Interview exclusive

Le retour de Gilbert Brassine

Les championnats de France 1957 - 500cc (3/4)
Gilbert Brassine, le vainqueur.

Pour la première fois, depuis qu'il nous appartient de faire revivre à votre intention, dans cette rubrique du motocross, les émotions sportives que nous connaissons à suivre régulièrement le déroulement des grands épreuve, nous avouons prendre la plume avec quelque réticence..., tant il faudra nous montrer sévère.


Et cependant, sur le plan de la course , la réunion d'Albi a tenu ce qu'elle promettait : les pilotes ne ménagèrent point leur peine et, sur ce tracé impitoyable, nous donnèrent un spectacle sportif sans reproche, comme s'ils eussent voulu, par leur belle tenue, effacer les regrettables insuffisances d'une organisation dont les faiblesses ont fait peser sur le bon déroulement de l'épreuve officielle la plus lourde hypothèque.


De cette bonne tenue des coureurs, nous voulons ici vous apporter la plus belle preuve, celle qui nous fut fournie par le malheureux Robert Klym, arrivé en même temps que nous sur le terrain et frappé par la redoutable étroitesse de l'ensemble du parcours, au surplus dépourvu de véritable "droite" au départ, à moins de nommer ainsi les 35 mètres conduisant au premier obstacle, au premier rétrécissement de la piste. Et cependant, Robert Klym, bien qu'assuré de sa position au classement général du championnat (il menait alors avec 7 points d'avance) se refusa à faire une course d'attente, sans brio, mais sans danger. Il prit l'allure habituelle, que le tracé d'Albi ne pouvait accepter. D(où la chute et l'accident dont il vous sera parlé plus loin.


La réunion, favorisée par un soleil qui revenait à Albi pour la première fois depuis de longues semaines, n'avait pas attiré le très grand public : quatre à cinq mille spectateurs garnissaient les abords du terrain quand le départ fut donné aux engagés de l'épreuve internationale. Pour le championnat de France, la course a lieu à 16h30 et le terrain baigne dans une atmosphère de lourde chaleur. Mais pour l'instant il est 16h et les haut-parleurs annoncent que 30 minutes sont accordés aux spectateurs pour aller se rafraîchir aux buvettes, tandis que les inters rejoindront leur machines placés en parc fermé comme l'exige le règlement de la FFM.


>p>Dommage que ce parc soit mal placé. Il est situé près de la ligne de départ, mais fort loin et en contre-bas de l'endroit où les coureurs ont été contraints de laisser leurs voitures, leurs remorques. Résultats : de nombreuses allées et venues des mécanos pour hisser la-haut tout le matériel de rechange, outillage, bidons d'huile, roue de secours, etc...Il y aura des oublis et Drobecq entre autres s'apercevra un peu plus tard, durant la course, qu'il a laissé dans sa voiture la chaîne de rechange qu'il lui faudrait !


16h30..C'est l'instant que choisit M.Barouilhet, l'un des quatre vice-présidents de la FFM, pour se manifester. Il eut pu faire parler de lui beaucoup plus tôt, en formulant les plus pertinentes observations sur les nombreux aspects de l'organisation qui prêtaient à critique (et dont quelques uns eussent pu être aisément corrigés) mais point : M.Barouilhet semble content de lui comme de son prochain et s'il abandonne un moment son cigare, c'est uniquement pour déverser au micro quelques louanges à l'intention de la Fédération et de l'AMCCA, pour inviter aussi le public au respect des consignes de sécurité.


Le public, lui, en a assez de ces parlottes officielles, de toutes ces formalités qui retardent déjà le départ de plus d'une demi-heure. Et, tandis que commence le tirage au sort qui doit déterminer les places sur la ligne blanche, des murmures s'élèvent qui, bientôt, s'enfleront jusqu'à devenir huées, sifflets...


A Vesoul comme à Breteuil, le départ s'est effectué sur une ligne unique, chaque concurrent ayant la même possibilité théorique d'atteindre en tête le premier obstacle proposé par le tracé, facteur d'une très grande importance en motocross et sur nos terrains. Ici, la chose n'est pas possible : la ligne de départ est trop étroite pour admettre les 19 partants, qu'il va falloir placer sur deux rangs. D'où ce tirage au sort. A vrai dire, on avait d'abord songé à attribuer les emplacements de départ selon les temps chronométrés lors des entraînements. Mais il n'existe aucun règlement FFM obligeant les coureurs à se soumettre à cette "formalité" (il faudra d'ailleurs revenir sur ce point), et comme rares furent ceux qui s'y prêtèrent (Bertrand, 1 510 m en 1'49''; Frantz, 1'52''; Combes, 1'55''), force fût donc de se retourner vers la solution du hasard !

Roger Drobecq tire sa place au sort.

Dans le "chapeau de gendarme", la valse des petits bulletins est enfin terminée. Le sort a fait des veinards, bien placés pour démarrer en tête, et des malchanceux , relégués au second rang. Parmi ceux-ci, Frantz, à qui son "deuxième meilleur temps" n'aura guère profité. Habitué cette saison aux coups du destin, il n'en sourit pas moins gentiment derrière ses camarades.Henri Frantz est en 2ème ligne, derrière P.Barbara (25), J.Schmid (35), A.Chuchart (19), Robert Klym (5).Les spectateurs se déchaînent : agacés par le retard apporté dans les opérations de départ, ils conspuent violemment les officiels, et c'est dans un concert de hurlements, que nous gagnons "le dos de Chameau" à 50 mètres de la ligne blanche, et où nous installerons pour suivre les événements. L'endroit est ainsi baptisé parce qu'il présente deux bosses abruptes évidemment séparées par un creux, lequel est en fait une mare boueuse alimentée par le petit ruisseau qui murmure à deux pas de là.


Aux clameurs succède brutalement le silence : le départ vient d'être donné et, tout soudain, seul à deux mètres de la meute qui fonce à ses trousses dans un grondement des échappements, parait un homme, René Combes, l'enfant du pays, qui s'est rué en avant dans une énorme détente et passe en tête devant nous, précédent un groupe compact de 17 hommes qui débordent dans les ronces de par et d'autre de la piste. Un temps, et puis surgit Bertrand, tout seul. Il est tombé dans les premiers mètres et a déjà un gros retard.


Derrière Combes - qui mènera 28 tours durant, sur les 30 que compte la course - Robert Klym et Brassine font le forcing. Bientôt, le dernier nommé saute l'Orléanais, tandis que Ledormeur cale son moteur en sortant de la mare, sous nos yeux : cette eau ne vaut rien pour les mécaniques ! Un moment encore, puis nous pointons : Combes, Brassine...et Schmid (qui confirme absolument tout le bien que nous pensons de lui). Mais où est donc Robert Klym ? Laconiquement, les hauts-parleurs font connaître qu'il est arrêté, qu'il abandonne.


Il nous faudra attendre la fin de la course pour savoir ce qui s'est passé, et la vérité n'est pas belle à dire : tombé sous sa machine, la jambe gauche prise, Robert Klym est resté au beau milieu du circuit durant plus d'un tour, sans que les commissaires présents vinssent lui porter secours ! N'est-il pas invraisemblable que des officiels chargés du service sur le circuit ne sachent point faire la différence entre un coureur en panne - qu'il ne faut pas aider à repartir - et un homme blessé, auquel il convient de prêter assistance de toute urgence ?

Mais ce n'est pas tout : allongé en bordure de circuit, Klym est resté trois quarts d'heure dans cette situation, le médecin de service ne sachant point trouver en lui-même l'autorité nécessaire pour obtenir le transfert immédiat à l'hôpital, et le directeur de la course ne croyant pas de voir assurer le passage à voiture sanitaire, laquelle n'était d'ailleurs pas une ambulance, mais une simple camionnette de police-secours ! Nous voulons croire que la FFM aura prendre les mesurent qui s'imposent après les faits lamentables que nous venons de rapporter. De telles fautes n'ont aucune excuse. Pour Robert Klym, double fracture du tibia, voilà le bilan.


Ceci dit - que nous avions le devoir de dire - revenons à la course. Tandis que Combes poursuivait sa ronde en tête, assurant un train rapide, Brassine suivait sagement, ne prenant aucun risque, sa deuxième place suffisant à le hisser aux avancées du classement général du championnat. Derrière, Godey s'arrête un moment (il finira sans câble de débrayage) et Bertrand accomplit un fantastique retour, qu'il compromettra d'ailleurs par chutes sans gravité. Schmid maintient sa troisième place, mais Chuchart et René Klym se rapprochent à leur tour.


Déjà, il devient malaisé de suivre ce qui se passe plus loin : il y a tant de "gamelles" ramassées, tant de casse, que les hommes s'arrêtent, repartent, s'arrêtent encore, et l'on ne sait plus trop bien où l'on en est ! A part Bertrand, Darrouy Auguste et Ledormeur, il semble bien que tout le monde soit doublé. La chose est certaine, en tous cas, pour Melioli (huile dans la magnéto), Jacquemin, qui monte aujourd'hui la BSA d'Ancel, mais n'en crève pas moins, Drobecq qui casse sa chaîne, etc...


Et, alors que rien de nouveau ne semble devoir survenir, alors que nous nous préparons à rejoindre le poste de chronométrage où va se juger l'arrivée, c'est la catastrophe pour René Combes : il sent Vouillon derrière lui, Vouillon archi-doublé et qui fonce pourtant comme si la victoire l'attendait au terme de cet effort ! Que se passe-t-il donc dans l'esprit de Combes, comprend-il seulement à quel mobile il obéit quand il augmente lui-même son allure, pour ne pas laisser passer Vouillon ? Toujours est-il que le terrain, jusqu'ici pitoyable envers Combes parce que celui-ci le connait bien, n'acceptera pas longtemps la vitesse toujours croissante du leader : un tour encore, et c'est la chute, sans bobo quand même.


Se relevant immédiatement, Combes repart, conservant sa première place, mais Brassine s'est maintenant dangereusement rapproché, se tenant prêt à exploiter la moindre erreur de son adversaire. Est-ce cette menace qui précipite les événements ? Combes est déchaîné, il joue son va-tout et chute une seconde fois. Brassine trouvant désormais l'ouverture, file en tête, s'assurant quelques mètres d'avance au seuil du dernier tour. Ces dernières minutes sont hallucinantes : René Combes est remonté en selle aussi vite qu'il l'a pu et "suce" littéralement la roue du parisien. Les deux hommes abordent ensemble et pour la dernière fois le "dos du chameau" où Combes va porter sa dernière attaque. Las ! Il est gêné, coupe, retombe dans le creux boueux où son moteur "avale" de l'eau et cale. C'est fini. Le grand vaincu achève à pied le dernier tour de la course sous les ovations d'un public délirant.

René Combes, le héros malheureux du jour !

Nous eussions souhaité que cette magnifique et dernière phase de l'épreuve pût nous fournir notre conclusion. Malheureusement, cette réunion d'Albi (qui vue sous l'angle strictement sportif, fut de la plus belle qualité), devait, sur le plan de l'organisation, se terminer encore plus mal qu'elle n'avait commencé. En effet, après qu'un premier classement eût été publié au poste de chronométrage par les soins des trois pointeurs officiels, les résultats de cette troisième manche du championnat de France international furent remis en question sur réclamation de Rene Klym et de Jacques Charrier, ce dernier se fondant sur un "comptage" à titre privé par son épouse.


A l'issue d'un long conciliabule qui réunit dans le bureau du directeur de la course les trois pointeurs officiels, le représentant de la FFM, M.Barouilhet, et Mme Charrier munie de son document personnel, il fut annoncé qu'une "omissions" avait été découverte dans l'une des feuilles officielles de pointage et qu'en conséquence un nouveau classement, en concordance avec les indications des deux autres feuilles comme de celles figurant sur le document "officieux "de Mme Charrier, se substituait au précédent. Nous voulons bien...Mais quelles garanties offre un classement établi dans de telles conditions ? Sont-ce là le chronométrage rigoureux, le contrôle sans défaillance qui devraient être de règle dans une compétition aussi importante qu'un championnat de France international ?


Les quatre premiers ne sont pas en cause. Ils sont à leur place réelle. Pour les autres ? Nul doute qu'il y ait des victimes ! La réunion d'Albi nous aura donc apporté de précieux enseignements pour l'avenir. Il est clair que l'organisation du championnat réclame d'autres soins que ceux qui lui furent prodigués la-bas et il appartiendra dorénavant à la FFM de s'entourer des garanties les plus sérieuses avant que d'accorder les épreuves à tel ou telle ville, à tel ou tel club.


Disons-le tout net : s'il faut un exemple, qu'on prenne celui fourni par Vesoul. Nous y avons suivi une manifestation de la plus haute tenue.

Paul Godey termine à une belle 5è place.

Voici les classements :
1) Brassine.G (BSA)
2) Chuchart.A (BSA)
3) Schmid.J (BSA)
4) Klym.Re (BSA)
5) Godey.P (BSA)
6) Ledormeur.Gé (BSA)
7) Charrier.J (BSA)
8) Darrouy.A (BSA)
9) Bertrand.G (BSA)
10) Combes.R (BSA)
11) Frantz.H (Matchless)
12) Lusseyran.H (BSA)
13) Barbara.R (Triumph)
14) Jacquemin.M (BSA)
15) Lefèvre.R (BSA)
16) Vouillon.P (BSA)
17) Drobecq.R (BSA)
18) Melioli.J (Gilera)
19) Klym.Ro (BSA)

Source et photos : Moto Revue n°1347.